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Jungles du Nord. Histoire de séparations.

Publié le par Morgane Lesne

Jungle de Calais ; Auberge des Migrants ; Camps de Grande-Synthe ; Frontière franco-britannique de Calais.
Jungle de Calais ; Auberge des Migrants ; Camps de Grande-Synthe ; Frontière franco-britannique de Calais.
Jungle de Calais ; Auberge des Migrants ; Camps de Grande-Synthe ; Frontière franco-britannique de Calais.
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Jungle de Calais ; Auberge des Migrants ; Camps de Grande-Synthe ; Frontière franco-britannique de Calais.
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Jungle de Calais ; Auberge des Migrants ; Camps de Grande-Synthe ; Frontière franco-britannique de Calais.
Jungle de Calais ; Auberge des Migrants ; Camps de Grande-Synthe ; Frontière franco-britannique de Calais.

Jungle de Calais ; Auberge des Migrants ; Camps de Grande-Synthe ; Frontière franco-britannique de Calais.


Dernière semaine de mars, année 2016 après JC. Situation géographique : région Hauts-de-France, établie ici comme le cul-de-sac Nord-Ouest de l’Europe : lieu où s’incarne un noeud politique et humain particulièrement complexe. Les quelques jours passés ici prennent une place considérable, si bien qu’au retour, on semble être parti trois semaines. Les enjeux de la situation critique dite « des migrants » à Calais - et désormais à Dunkerque - se dressent sur différents plans mais sont de même nature : ils concernent des Humains et de l’argent… Et, plus que tout, ces enjeux entrent en interaction avec des visions du monde distinctes. C’est une histoire de frontières et de clôtures, pour mettre l’humanité au pluriel - sans autres formes de débat.
Linéaire de ce coté-ci de la barrière - du coté des Français, la perception de cette « situation » est vécu tristement, ou bien elle énerve, essouffle. Le mécanisme de responsabilité se cale sur le dos des exilés et réfugiés qui tentent l’entrée sur le territoire anglais. Bouc-émissaires facilement choisis de par leur visibilité d’une part, et conforté par l’amalgame des nombreux médias nationaux et régionaux. De l’autre coté de cette barrière symbolique se trouvent des individus dont le point de vue est clair : humainement parlant, cette situation nécessite de s’organiser pour venir en aide aux populations fuyant leur pays. Associations et personnes bénévoles mettent la main à la pâte et se démènent pour accueillir et aider les hommes, femmes et enfants stationnant ici dans la perspective d’un ailleurs fertile.

L’arrivée à Calais est marquée d’une empreinte institutionnelle forte : nombre de camions de CRS, de voitures de police et de gendarmerie quadrillent le territoire. La route a été longue et le plan trouvé pour être logé sur place tombe à l’eau. Repli vers un hôtel low cost et désir fort d’aller voir cette cité de plus près. À la recherche d’un kebab ouvert après 21h, nous approchons du quartier de l’Hôtel de Ville et constatons le peu d’animations du centre-ville calaisien. Outre la présence massive des organes de répression et d’ordre étatiques qu’incarnent les policiers et les gendarmes.
Les premiers contacts sur place éclaircissent déjà grandement la situation. Importance du chômage - 26% de la population active. Culture populaire. Carrefour migratoire dans une économie en berne. Trois Calaisiens nous font part de leur points de vue… Recoupés au fur et à mesure par d’autres personnes croisées au cours du séjour. « Les Anglais ne s’arrêtent plus à Calais, ils vont plus loin pour acheter du tabac, du vin et de la bière. Beaucoup de commerces ont fermé. Depuis qu’il y a les migrants, les rideaux tombent ». Lorsqu’on pousse davantage les conversations, la fibre humaine prend le dessus. Un homme - ancien para dans l’armée française - nous alpague et donne un billet de cinquante pour « aider les migrants ». Interactions où les paradoxes siègent en rois. Les discours sont teintés de réserve, les gens d’ici n’aiment pas vraiment ce que les journalistes de presse ou de TV font de leurs propos - à l’instar de cet homme en terrasse de café dont l’interview de plusieurs minutes par France3 s’est résumée à quelques secondes de paroles après montage, focalisant sur des propos apparaissant comme étant raciste hors du contexte global de la conversation. Un autre confie qu’il comprend l’adhésion à l’extrême-droite des habitants vis-à-vis du « problème des migrants » et de la mainmise prise par les No Border dans ce contexte - référence à la manifestation de soutien aux migrants (23 janvier dernier) où la statue de de Gaulle avait été taguée et le port occupé par les manifestants. La reprise par les médias de ce fait croustillant leur a permis de stigmatiser la population immigrée et de pointer du doigt les activistes libertaires et anarchistes pour qui l’État symbolise une mascarade capitaliste et anti-humaniste. Mais quels points de vue propres émettre sur la vague migratoire de 2015 ? Une dame croisée un dimanche matin sur la Place du même Général résume cela en quelques mots : « Pour eux, c’est triste, pour nous, c’est moche… ». L’empathie est claire, le ras-le-bol d’une sécheresse économique et sociale également. Pour autant, il semble que la présence du camp de migrants de Calais porte à lui seul les causes d’une misère aux couleurs de briques rouges.

Le camp de migrants de Calais - la « Jungle » comme tous s’accordent à le nommer - est situé le long de la voie rapide qui mène au terminal du Ferry partant pour Douvres. Terminal faisant office de frontière du Royaume-Uni depuis les accords du Touquet signés en 2003 par N. Sarkosy. La partie sud du camp - démantelée début mars - est visible de la route… Grand terrain (2,5 hectares) jonché de débris qui, à première vue, ressemble à une déchetterie à ciel ouvert. Les logements de fortune qui comblent encore la partie nord se dressent à l’exacte perpendiculaire de la ligne où sont construites les clôtures hautes de 4 mètres - surplombées de barbelées - encerclant la voie d’accès à la Gare Maritime. L’ensemble équivaut à onze terrains de rugby. La partie située à l’extrême nord est couverte des conteneurs mis en place par l’État pour remplacer les abris détruits de la partie sud. Encadrée de barbelé et de grilles, cette zone semble déserte et sans vie, comparée à l’animation de la « Jungala ». Ça rappelle les cartes géopolitiques des classes de Terminale (lorsque cette matière y était encore enseignée). Les stratégies des parties présentes se montent : l’une veut accéder par tous les moyens à l’embarcadère anglais, l’autre est présente pour l’en empêcher.
Jeu - dénué de rires - du chat et de la souris entre les exilés de Moyen-Orient et d’Afrique et les policiers français. Le récent camp de Grande-Synthe à Dunkerque, quant à lui, abrite quelques 1500 migrants logés dans des cabanes en bois mises en place par l’association Médecin Sans Frontières. Des enfants jouent au football, présence de femmes, construction de cantines abritées et espaces d’hygiène nombreux (douches, lavoirs, toilettes). Ce n’est pas la même « Jungle ». La présence associative est visible - les tentes de MSF se reconnaissent aisément, la mixité semble de rigueur.

L’aspect policier de cette situation interpelle, au-delà de son traitement normalisé par la sphère médiatique. Chiffres de novembre 2015 : plus de 1300 policiers et gendarmes sont sur place, depuis janvier : 17 compagnies de CRS ( près de 2400 individus) - à quoi s’ajoutent les gendarmes mobiles, la BAC et les unités classiquement présentes sur place. Outre le climat tendu lié à l’omniprésence de personnes armées et en uniformes, la question du coût de ce genre de déploiement se pose. Une info circule : la somme de 550 000€ par jour (source difficilement vérifiable). Mais un site d’informations est né en réponse à la vague migratoire importante du début de ce siècle. Une quinzaine de journalistes européens ont mis leurs compétences et savoirs en commun afin d’apporter un éclairage étalonné à cette situation européenne, en terme de coûts humains et financiers. La politique de sécurité développée par l’UE en réponse à cette crise migratoire comptabilise des milliards d’euros, payés par les contribuables de l’Union, reversés à quelques méga-entreprises (dont Airbus et Thales) pour la gestion technique, humaine et technologique des frontières de la « Fortress Europe ». À coté, les enveloppes octroyées pour la gestion de l’ordre calaisienne doivent sembler minimes. La présence visible des agents de police développe un impact symbolique fort - une impression de zone sous bonne garde étatique - mais au-delà, il y a lieu de se questionner sur la longévité d’un tel dispositif. Notamment sans perspective d’une évolution réelle de la situation des réfugiés.

Plus loin, l’Auberge des Migrants, épaulée par HelpRefugee, Artists In Action et Refugee Community Kitchen, est installée dans une zone industrielle à cinq bornes de la Jungle de Calais. Grand hangar réaffecté en octobre 2015 - en quelques mois, les travaux de désamiantage, d’électricité et d’eau sont effectués. Le site est la place forte des volunteers. L’Auberge des Migrants existe depuis sept ans sur Calais, compte tenu de la place stratégique majeure de la ville au niveau des chemins migratoires. Essoufflée depuis plusieurs mois, l’image poignante de l’enfant Syrien mort face contre sable sur une plage a changé la donne. Se dire qu’une photo change les choses impressionne, pour plusieurs autres milliers de gosses morts ou disparus. Ici, les anglais sont venus en masse, ont donné maintes vivres et matériels de survie, ont traversé la Manche pour aider les personnes qui ne sont pas autorisées à entrer sur leur territoire - faute de papiers, faute de droits, faute d’humanité. Il arrive un stade où on ne sait plus quoi, comment, pourquoi.
Les blancs Anglais, Frenchies, Italiens de Londres, Belges ou Espagnols de Switzerland, Allemands et Néerlandais se succèdent pour décharger de leurs véhicules les dons. Nourriture, vêtements, produits d’hygiène et de premier soin, matériels de camping. Ça fourmille à l’intérieur du bâtiment, plusieurs ateliers sont organisés afin de lier l’efficacité à l’action. L’ampleur des donations est marquante. Comme celle de l’énergie déployée par les bénévoles venus des coins occidentaux de l’Europe. Certains donnent des cours de langue anglaise et française dans la Jungle même, d’autres ne sont là que pour le week-end et ne verront pas le camp des réfugiés de leur propre yeux. Au bout de deux jours, on a l’impression d’être au pays de Shakespeare, tant la population britannique y est majoritaire - le TeaTime biquotidien sonne comme tel. À l’arrière du hangar se trouve les ateliers de bricolage et de construction, peu usités alors en raison du démantèlement de la Jungle sud. On trouve, au-delà, les logements nomades des bénévoles permanents, ceux qui sont là depuis plusieurs mois et qui ont trouvé ici le lieu d’une lutte contre un système où l’injustice fait des siennes.

Ce qui semble sourdre en visu de telles situations - au pluriel - est la densité des rapports conflictuels et complexes entre des acteurs situés dans une circonférence géographique restreinte. L’acteur étatique incarné par les forces de l’ordre quadrille nettement le territoire civil. Il est présent partout ou presque… Il est aux abords de la Jungle - des Jungles car celle de Dunkerque est envisagée pareillement par les autorités - et reste majoritairement en bordures ; il est absent de la niche associative solidaire (du moins visiblement). Au-delà, les CRS et leurs véhicules jalonnent la rocade menant au port maritime, celle menant au Tunnel sous la Manche, les rues du centre-ville, les hôtels des zones industrielles de Calais et les entrées principales des camps - où les personnes désirant y entrer doivent montrer leurs papiers d’identité. L’acteur associatif se déplace entre le lieu de collectes et de production de nourriture jusqu’aux camps de réfugiés de Calais et de Grande-Synthe afin d’apporter le minimum vital aux migrants. Mais la plupart des bénévoles semble ne pas aller dans les Jungles. De la même manière, les migrants ne se présentent pas dans le hangar de l’Auberge des Migrants. Cet acteur (regroupant la population migrante) réside dans les camps, est mobile et piéton. Les exilés se déplacent en ville, entrent et sortent du camp, se rapprochent des voies annexes menant à l’embarcadère et à la frontière - voies utilisés par les poids lourds qu’ils convoitent pour accéder au territoire UK. L’acteur civil français, population calaisienne et des abords de la cité, assiste au spectacle de chez elle, dans la rue, à la radio, sur les écrans. Les anglais de passage s’arrêtent effectivement moins à Calais, et montent en Belgique pour faire des recharges de paquets de cigarettes et d’alcool. Le silence et le calme du centre-ville apporte à la cité une atmosphère peu réjouissante et on est en droit de se demander si la raison de la fuite des consommateurs anglais provient de la présence seule de la Jungle.

Une question se pose : comment dénouer la situation de cette époque sans qu’il y ait davantage d’échanges et de contacts entre les différents acteurs ? Bien sûr, des individus transverses créent des ponts, à l’image des juristes, des enseignants, des porte-parole associatifs, des médiateurs politiques, des journalistes. Pour autant, les intermédiaires agissent et relaient des messages selon leurs propres valeurs, qu’en serait-il d’une mise en relation directe entre la population migrante et la sphère politique nationale ou même européenne ? Alors que le jeu des séparations entre populations, nations, idéaux, langues, religions, statuts sociaux, détenteurs de la violence légitime, activistes, éthiques, détenteurs de la parole publique, se cale sur une répartition et une stratégie de territoires, la problématique de la communication réelle se pose… dans le cas où ce noeud politique humain extra-complexe ne fait pas le jeu - justement - d’enjeux économiques et idéologiques haut perchés. À l’heure où les rideaux Sud-Est de l’Europe se dressent sous la forme de murs frontaliers quasiment imperméables aux exilés politiques et économiques, les migrants parvenus jusqu’à Calais après des mois - voire des années - de voyage se trouvent bloqués ici, tout comme les agents de police et les habitants de cette région, anciennement appelée Nord-Pas-De-Calais.

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